L'auteur de l'Aquarium

 

Louis Calaferte
1928 - 1994

Personne n'écoute.
Personne n'a pitié.

Louis Calaferte

Louis Calaferte est né le 14 juillet 1928 à Turin. Dès l'âge de 13-14 ans il est obligé de travailler comme manuvre ou comme garçon de course mais se prend de passion pour la littérature : "je m'enfouissais sous le texte, comme une taupe J'ai aimé les écrivains. Tous les écrivains. D'un amour de béatitude".

En 1952 il publie son premier livre : Requiem des innocents ; en 1953 : Partage des vivants ; puis vient Septentrion qui sera interdit à la vente et réédité seulement en 1984 ! Il faut dire que pour l'époque le roman commence fort puisque la première ligne affirme : "Au commencement était le Sexe"

Louis Calaferte ne s'embarrasse pas dans ses récits d'une morale bien-pensante et nivellatrice. Il rapporte les choses crûment, ce qui ne signifie pas qu'il les dise n'importe comment. La langue est toujours travaillée au corps pour que chaque mot dégorge tout son sens. Au besoin, il les invente, surtout dans sa poésie (voir les livres).

Dans ses livres, on retrouve toujours un regard acide et sans concessions sur notre société ; c'est d'une plume tranchante qu'il fustige la télévision, la société de consommation, les petits-bourgeois et nos "intellectuels" médiatiques.

Personnalité paradoxale, extrêmement mystique, Louis Calaferte était aussi féru d'astrologie, numérologie et autres fadaises Alors, on l'encense ou on le brûle ?

 

 La pièce : l'Aquarium

La pièce "l'aquarium" fait partie de "pièces intimistes" (Théâtre complet 1) aux Editions Hesse 24.24 euros

Virulent portraitiste des vies minuscules, Louis Calaferte avec la sortie du premier tome de son théâtre complet parle d'intimité. Féroce. Le premier tome du théâtre complet de Louis Calaferte, Pièces intimistes, (deux tomes des Pièces baroques vont suivre), est un bel ouvrage, sobre et élégant. Chacune des huit pièces (Trafic/ Chez les Titch/ Les Miettes/ Mo/ Tu as bien fait de venir, Paul/ L'Entonnoir/ Les derniers Devoirs/ L'Aquarium) est illustrée par Catherine Seghers. Cette dernière s'est magnifiquement emparée de l'univers de l'écrivain, ses hommes et ses femmes sont posés dans un univers géométrique, noir, blanc et gris.

Les pièces de Calaferte sont féroces, des satires noires.Une question revient, lancinante, comment ne pas se laisser abîmer par le quotidien, les habitudes, le seul fait de devoir vivre?

Louis Calaferte met en scène des huis clos. Ses personnages donnent l'impression de ne presque plus sortir de chez eux. Et de ne voir personne en dehors du cercle de leur famille. Ils fabriquent leurs propres prisons. Ils prennent conscience de leurs défaites en se remémorant les rêves de leur jeunesse, ou bien ils attendent...

On est forcément touché par ces Pièces intimistes. Elles dérangent par leur virulence, leur style très obsédant mais surtout elles donnent l'envie de ne pas s'installer, de bouger, de vivre quoi!

 Morceaux choisis

 

 

"J'étais un enfant charmant. Plein de vie. Espiègle. Plein de vie Un jour. Et un autre jour. Et un autre. Et un autre. Et un autre. Et un de plus. L'un derrière l'autre. Les uns derrière les autres. Tous les jours. Tous les jours. Tic tac tac. Tic tac tac. Tic tac tac. Broyé Sans qu'on s'en rende compte Sans même qu'on s'en rende exactement compte, n'est-ce pas Il faudrait être si attentif Profiter de tout.. Faire attention à tout"

C'est la guerre

Elle est à genoux.
Des coups de poing.
Des coups de pied.
On lui crache dessus.
Un homme la tient par les épaules.
Un homme a une tondeuse à la main.
L'homme tond la femme à genoux.
Les gens crient de joie.
Les cheveux tombent autour de la femme.
La femme pleure.
Les gens crient saleté.
La femme ferme les yeux.
La femme est tondue.
L'homme lui donne des coups de tondeuse sur la tête.
La tête saigne.
Saleté fous le camp.
La femme se relève comme elle peut.
La femme reçoit des coups de pied.
La femme saigne.
La femme est huée.
La femme se met un foulard sur la tête.
Les femmes lui arrachent son foulard.
On tond des femmes partout.

Septentrion

Au commencement était le Sexe. Sauveur. Chargé d'immortalité. Il y a la bête. Héroïque. Puissante. Et au-delà de la Bête il n'y a rien. Rien sinon Dieu Lui-même. Magnifique et pesant. Avec son il de glace. Rond. Statique. Démesurément profond. Fixe jusqu'à l'hypnose. Tragique regard d'oiseau. Allumé et cruel. Impénétrable de détachement. Rivé sur l'infini où tout arrive.

Droit de cité

"Des millions d'hommes meurent de faim, l'injustice, l'obscurantisme sont partout ; on arrête, on emprisonne, on déporte, on torture, on répand le sang, on diffuse le mensonge corrupteur, on entretient l'analphabétisme, on étouffe les idées généreuses, on anéantit les consciences ­ pendant ce temps là nos célébrités littéraires font de la littérature confortable, c'est-à-dire du pur fumier, se prostituant au public de toutes les façons, notamment par l'intermédiaire de cette entreprise de décérébration qu'est notre actuelle télévision. Entre gens de bonne compagnie, on brode sur des idées usées ­ mais ce qui compte aujourd'hui, c'est la faim dans le monde, la non-culturisation des masses, la pollution de la nature par l'abus chimique, la démographie anarchique, les menaces de l'arsenal nucléaire. Le reste, madame, on s'en fout !"